
Epigénétique et transmission
Durant ces dernières années, l’étude des mécanismes épigénétiques a permis de comprendre comment l’environnement pouvait induire des modifications de l’expression des gènes, sans modification de leur séquence ADN. Parmi les différents types de modifications épigénétiques décrits se trouve la méthylation de l’ADN, et son étude fait l’objet de nombreuses publications, en lien avec toutes sortes de variations environnementales, survenant pendant ou après la vie intra-utérine.
On trouve, par exemple, l’étude des modifications épigénétiques liées à l’exposition à des composés chimiques, à des régimes alimentaires particuliers, à des substances addictives telles que la nicotine et également à des «stress» psychologiques.
Les recherches épigénétiques sur les animaux de laboratoire, rats et souris, ont permis de mettre en évidence une transmission transgénérationnelle de marques épigénétiques. Ce phénomène a été décrit pour la première fois en 2005 par le groupe de M. K. Skinner (Université de Washington), qui a démontré la persistance sur quatre générations de dysméthylation, apparue suite à l’exposition d’une ratte gestante à un disrupteur endocrinien.1 Des travaux ultérieurs, portant sur l’exposition à différents composés chimiques durant la vie intra-utérine, ont confirmé cette découverte, tant au niveau de la transmission des modifications épigénétiques que du phénotype en résultant.
Diverses études ont confirmé cette possibilité de transmission chez l’homme, mais le manque de recul n’a encore pas permis d’établir si les marques épigénétiques acquises pouvaient traverser plus de deux générations.
Dès lors que la donnée transgénérationnelle semble établie scientifiquement, on entend beaucoup d’hypothèses et de discussions à propos de l’héritabilité génétique versus l’héritabilité épigénétique, comparant la transmission génétique «traditionnelle» liée à l’ADN (des gamètes des géniteurs) à celle passant par l’épigénome et liée aux expositions environnementales des géniteurs. Il faut là toutefois préciser que la transmission par l’épigénome reste une situation exceptionnelle plutôt qu’une règle. En effet, la machinerie cellulaire est équipée d’un système d’effacement/reprogrammation des marques épigénétiques de méthylation qui intervient à chaque génération, très tôt dans le développement. Ce système qui efface de façon irréversible les dysméthylations effectue une remise à zéro qui permet au fœtus de retrouver un épigénome vierge, prêt à développer ensuite au cours de sa croissance et de sa vie, et en fonction de son propre environnement, ses propres marques de méthylation. Donc, si la transmission des dysméthylations existe, elle reste un phénomène exceptionnel et non une règle. Les études épigénétiques dans le domaine de la toxicologie ont suggéré l’existence d’un seuil d’intensité d’exposition, au-delà duquel les dysméthylations pouvaient être transmises, le système d’effacement/reprogrammation n’étant sans doute pas assez performant pour les effacer complètement. Cela est certainement vrai aussi pour les autres expositions environnementales.
Un travail tout récent 2 a justement identifié un gène, Tet1, codant pour une protéine impliquée dans l’effacement/reprogrammation physiologique des marques de méthylation durant la vie embryonnaire. Les souris provenant de gamètes n’exprimant pas ce gène (knock-out) présentent non seulement des aberrations de méthylation génique, mais aussi une létalité embryonnaire précoce. Cela indique bien que sans un système de remise à zéro et de nettoyage des dysméthylations établies chez les géniteurs, pour le nouvel individu, le développement même serait impossible.
Il faut donc éviter les généralisations et la tentation de considérer la transmission épigénétique comme une règle générale. Si tel était le cas, chaque génération hériterait non seulement de l’ADN et des caractéristiques génétiques de ses géniteurs, mais aussi de toutes les dysméthylations environnementales accumulées par ceux-ci au cours de leur vie : un individu qui serait alors tout programmé. Heureusement, nous sommes loin de cela.
Bibliographie
Anway MD, Cupp AS, Uzumcu M, Skinner MK. Epigenetic transgenerational actions of endocrine disruptors and male fertility. Science 2005 (308)
Yamaguchi S, Shen L, Liu Y, Sendler D, Zhang Y. Role of Tet1 in erasure of genomic imprinting. Nature2013 (504) [Medline]
Dr Ariane Paoloni-Giacobino
Département de médecine génétique et développement
Université de Genève
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